Idriss Aberkane et ses trois doctorats, génie ou manipulation ?


Je vais essayer de simplifier le plus possible pour tous les néophytes qui ne connaissent rien en Science, et n'ont jamais obtenu de doctorat car c'est exactement la tranche de population qui est visée par le tour de magie de notre "docteur" Idriss Aberkane.
Sur son CV il est écrit (entre autres) :

  • Docteur bidisciplinaire en Neurosciences cognitives et Economie de la connaissance appliquée à la gestion. Ecole Polytechnique Université Paris Saclay (2016).

  • Docteur en Etudes méditerranéennes et Littérature comparée. Université de Strasbourg (2014).

  • Docteur en Diplomatie et Noopolitique. Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris (accrédité ASIC) CEDS (2013).

  • Affiliate Scholar du Kozmetsky Global Collaboratory de l’Université de Stanford.


Il a donc (selon lui) obtenu 3 doctorats en 4 ans. Posons les bases :

Un doctorat sérieux prend à l'étudiant entre 3 à 6 ans de travail acharné. Le fait de passer 2 thèses dans des domaines totalement différents est déjà peu plausible. Sur le fait de soutenir 3 thèses en 4 ans, là il y a clairement anguille sous roche. Mais cela peut quand même s'expliquer : Il arrive qu'une thèse traîne et que l'étudiant parte travailler ailleurs et soutienne plus tard. Dans ce cas on aura un décalage entre la fin de la thèse et sa soutenance. Posons un préambule : Idriss n’a pas soutenu 3 thèses, il en a soutenu 2, mais on verra ce point après. Si entre temps l'étudiant engage un cursus dans un autre domaine, il peut être emmené à soutenir 2 thèses en deux ans comme dans le cas supposé de Idriss. Sauf qu’il n'a pas fait 2 thèses en 2 ans, il a fait 2 thèses en 5 ans et il a soutenu les 2 thèses avec 2 ans d'intervalle (l'une en 2014, l'autre en 2016). Il y a une coquille parce que soutenir 2 thèses en 5 ans c'est limite avec un seul cursus de master initial bac+5. Un an à Stanford et 5 ans de recherches, ça nous fait au total 11 à 13 ans d'études mais c’est possible, surtout s’il a eu son bac à 17 ans. Où est donc le problème ? Il aurait en théorie dû refaire au moins un cycle de master sur 2 ans avant d'attaquer son 2ème domaine, et là ça ferait un total de 13 à 15 ans, ce qui est limite pour une première soutenance à 29 ans, mais pour un surdoué pourquoi pas. Il est tout à fait possible de terminer un doctorat digne de ce nom en une seule année. C'est le cas de personnes qui sont à la fois extrêmement douées, travailleuses, et chanceuses. C'est pas clair ce que j'écris ? C'est pas clair sur son CV non plus...

Si cela est très rare, c'est parce que ces gens ont eu la capacité de produire des résultats immédiatement, et de contribuer à la recherche scientifique en 1 an, quand souvent les doctorants ne se mettent à publier que vers la fin de leurs études, c'est à dire la 3ème ou 4ème année (on va aborder ce point dans le paragraphe suivant). Quelqu'un qui peut obtenir un doctorat en un an va en général rafler pas mal de prix dans sa vie...

Pour entrer en doctorat, il faut être titulaire d'un master 2 ou d'un diplôme équivalent dans le domaine où l'on va étudier. Un doctorat initie une formation par la recherche. Dans le cas des sciences on travaille dans un laboratoire, on apporte ses connaissances, on réalise des expériences, et par un sujet original on fait progresser la recherche tout en progressant soi-même. Le candidat est 100% dans son sujet, ce qui n'est pas le cas de son ou de ses maîtres de thèse qui ont de nombreuses obligations à remplir en particulier d'enseignement.
La seule obligation autre de l'étudiant est de suivre une école doctorale de rattachement qui le prépare à sa future carrière de chercheur. En particulier par une formation à l'éthique de la recherche, mais aussi par quelques conférences de spécialité données par des intervenants extérieurs.

La 1ère année l'étudiant prend connaissance du sujet dont il va traiter, et devra rédiger une étude bibliographique approfondie de ce qui existe. En général il s'agit d'un travail de synthèse sous forme d'article ou de présentation dans une conférence. La 2ème année il travaille en profondeur, il expérimente s’il y a lieu, et il prépare 2 articles destinés à une revue avec comité de lecture, une conférence internationale reconnue, ou un brevet. La 3ème année est celle de la rédaction de la thèse. Parfois on a beaucoup à dire, parfois moins. Mais la thèse est souvent présentée (c'est le cas en science) comme un CDD de 3ans. Ce n'est pas un examen où on peut partir plus tôt si on a fini. D'ailleurs en Littérature les thèses durent souvent plus longtemps... Une thèse ce n'est pas juste chercher et lire des choses puis rédiger un texte sur Word. Le thésard donne aussi des cours (et même souvent), il expose ses résultats à des conférences, il écrit des articles. Une thèse est une préparation au travail de chercheur, c'est là où on écrit ses premiers articles. Les experts capables de rédiger une thèse en 1 an se comptent sur les doigts d'une main. Si Aberkane était si fort, pourquoi n'a-t-il pas publié d'article ? Il aurait pu en prendre le temps s'il était autant en avance...

Cette thèse devra être défendue devant un jury de 4 à 8 membres, et de 2 rapporteurs. Pour être autorisé à soutenir sa thèse devant ce jury, il faut au préalable envoyer votre rapport aux deux rapporteurs. Si les retours sont positifs, alors vous êtes éligibles à soutenir votre thèse. Il y a beaucoup de règles pour constituer le jury (statut des membres, parité au moins partielle), et l'école doctorale doit le valider. MAIS c'est le doctorant et ses encadrants qui choisissent le jury. Si vous avez une bonne thèse, vous pouvez l'envoyer aux spécialistes mondiaux de votre domaine. Ils écriront un rapport concernant vos recherches, et le jury écrira un compte-rendu de votre soutenance. Si vous avez des commentaires élogieux des meilleurs chercheurs de votre domaine, alors cela veut dire que votre thèse est solide.
Qu'est-ce qui cloche donc dans le CV d'Aberkane ?
Comme je l’ai mentionné plus haut, en nous rendant sur le site "theses.fr", on ne trouve que 2 thèses d'Aberkane et non plus 3 comme indiqué sur son CV :
  • Celle de 2014 (en Littérature générale et comparée)

  • Celle de 2016 (en Sciences de gestion, discipline mère en Économie)

Il y a même suspicion de plagiat sur sa dernière thèse (enquête en cours). Si le plagiat est avéré, la thèse pourrait être annulée (on ne rigole pas avec le plagiat dans le monde académique).

Et si on regarde également les membres du jury et des rapporteurs, deux noms reviennent pour les 2 thèses : Paul Bourgine & Pierre Collet :
  • Paul Bourgine, biologiste

  • Pierre Collet, informaticien

Aucun de ces deux chercheurs n'est donc expert ni en Littérature, ni en Economie. Dès lors comment ont-ils pu être en mesure d'évaluer le travail d'Idriss alors qu'ils ont des compétences dans des domaines plutôt éloignés ? Parce que comme je l'ai rapporté plus haut, c'est le doctorant et ses encadrants qui choisissent le jury. Si comme Idriss, le seul but est de dire que vous avez une thèse, vous pouvez prendre n'importe qui dans votre jury, y compris des personnes qui ne connaissent rien à votre sujet...
Pour faire simple, c'est comme si un pilote passait son brevet, mais que l'expert qui allait l'évaluer était charcutier...

Dans une interview pour Thinkerview, Idriss nous explique qu'il a été "chercheur invité à Stanford à 21 ans précisément" que l’on retrouve sur son CV écrit sous la mention "Parcours académique". Or pour être considéré comme "chercheur" il faut avoir entamé sa thèse de doctorat ET avoir publié des articles dans des revues scientifiques spécialisées. Ce qui n'est pas possible pour Idriss car il n'a obtenu son premier vrai doctorat qu'en 2014... A 29 ans.
Dans la même veine, Idriss se décrit comme "docteur et ancien chercheur de l'Ecole Polytechnique". Problème : L'Ecole polytechnique a démenti la présence d'Idriss en tant que chercheur chez eux.
J'ai d'ailleurs découvert une vidéo récente qui analyse cette fois-ci les entreprises et les organisations d'Idriss et non son CV. L'autrice a contacté des collaborateurs, des employés et a analysé la présence des entreprises sur internet.


En conclusion, le CV d'Idriss n'a pas été totalement inventé de toute pièce. Mais il est tout de même artificiellement gonflé, beaucoup de notions qui y figurent sont vagues, saupoudré de mensonges. Sans doute dans l'espoir de tromper les gens qui n'ont pas connaissance des subtilités du monde académique. Pourquoi ne pas s'en tenir qu'à la vérité au lieu de vouloir paraître plus grand ? Parce que Idriss se sert de ses diplômes pour dire qu'il est super compétent dans plein de domaines, dont la neuroscience (et maintenant les maths, et aussi tout ce qui touche au Covid). Certes il a étudié les neurosciences dans son cursus universitaire, mais avoir un doctorat de Littérature et un autre en Science de gestion (même s'il y a neuro-ergonomie dans le titre parce que c'est trop cool) n'est en rien pertinent en ce qui concerne les sciences "dures". D'ailleurs voici une question pour les doctorants, avez-vous déjà vu beaucoup de thèses dont le titre se termine par "Pourquoi ? Comment ? Quoi ?" C'est ridicule, si on fait une thèse on va forcément expliquer ce qu'est le sujet et pourquoi on le traite...

Idriss dit "travailler 15h par jour". Mais monsieur n'existe tout simplement pas dans le monde de la recherche. Son nom n'est associé à aucune publication scientifique. Comme on l'a vu, pour obtenir le titre de chercheur, il faut en général avoir publié au moins un article dans un journal spécialisé, quitte à ne pas être l'auteur principal, et quitte à ce que ce soit dans un petit journal. Et encore ces exigences vraiment minimales sont bien loin de suffire si vous faites votre doctorat dans des groupes compétitifs, et/ou dans des universités mondialement réputées. Ce n'est pas le cas de Mr. Idriss. Il n'a pas obtenu ses deux doctorats, on lui a donné ses doctorats. Il se proclame "hyperdocteur", probablement parce qu'il ne peut pas raisonnablement se dire docteur. Ça c'est beaucoup moins impressionnant. Et les prix on les attendra toujours. Enfin sauf si on invente le prix Nobel de la fumisterie. Un clown donneur de leçons qui veut se faire admirer par les amateurs, mais n'a jamais été à la hauteur de produire quelque chose de recevable par un comité d'experts.

La bonne nouvelle, c'est que s'il existe des gens qui sont prêts à tricher, à mentir, à prendre autant de risques pour se donner une crédibilité académique, ça montre qu'il demeure dans notre inconscient collectif une grande admiration pour la recherche et les institutions universitaires. On sait combien de gens veulent désespérément passer pour des faux riches, en achetant des faux bijoux, des fausses montres, etc. Idriss nous montre qu'il n'y a finalement pas que l'argent qui donne du prestige.


13 mai 2022




Commentaires






Je suis malheureusement d'accord avec votre analyse bien que je trouve Idriss intéressant mais moi même ayant plusieurs diplômes, j'ai vu le parcours du combattant pour avoir un bon et vrai doctorat. Il est dommage de sur-gonfler avec un CV factice mais apparemment ça marche comme il dit bande de débiles. Cependant il a du charisme mais je ne connais pas de doctorat en neuroscience. Remarquez Nabila gagne bien des milliers d'euros par moi en ne racontant que des conneries.Les marseillais en Australie ça marche aussi j'en ai vu un épisode avec ma fille et j'ai failli tomber dans les pommes tellement c'était stupide.Plus c'est gros plus ça marche

@Pascal